mercredi 15 janvier 2014

Agathe



Chacun dans sa famille, mes parents appartiennent à la première génération à avoir étudié jusqu’au baccalauréat et au-delà, lui comme boursier, elle comme surveillante. Chacun dans sa fratrie, ils ont aussi été ceux qui ont poussé ces études le plus loin, sur une impulsion initiale largement due, d’après ce que j’en sais, aux deux années de classes prépa littéraires suivies par mon père. Il en gardait un souvenir émerveillé et un respect indéfectible pour les professeurs de classes préparatoires ; et aussi des amitiés durables, tellement durables qu’elles lui ont survécu.
Je crois savoir que ma mère, elle, n'a pas beaucoup aimé les années de classes préparatoires, scientifiques et littéraires, qui nous ont tant fait souffrir, mon frère et moi... Mais que le travail et les études puissent être pénibles ne nous surprenait pas. Pas plus qu’on ne s’étonnerait aujourd’hui des douleurs et chagrins endurés par un sportif de haut niveau ou un jeune artiste : le jeu en valait la chandelle. Apprendre méritait des efforts.
Je me souviens parfaitement d’avoir souffert, moralement et physiquement, en prépa. Et d'avoir râlé. Copieusement. Aujourd'hui, j'en recueille encore les bénéfices et je me souviens surtout d’avoir vécu en hypokhâgne ma première expérience de franche camaraderie, littéralement : j’étais enfin au pays des Lumières, après toutes ces années grises, parfois sombres, ennuyeuses et angoissantes à la fois, des années tout juste éclairées par d'exceptionnels amis et par ce professeur de dessin, ce professeur de français, ce professeur d’anglais...
Je me souviens de mes efforts, mais avec le temps, demeure surtout mon impression d’émerveillement face à ce flot de savoir qui m’a appris à penser par moi-même : à questionner ce que je pense, jour après jour. Grâce à ce professeur de philosophie. Emerveillement face aux cultures anciennes et modernes découvertes (alors que je croyais déjà les connaître...), entre autres, grâce à ce professeur d’histoire qui nous avait tous terrifiés en début d’hypokhâgne et qui s’était révélée être la plus bienveillante de tous. Emerveillement face à la délicieuse subtilité d’une littérature française qui nous était dévoilée, avec une générosité et une bonne humeur inoubliables, par ce professeur de français qui, en outre, m’emmena, avec ma classe, au théâtre à Paris pour la première fois. Toute fille de prof que j’étais. Emerveillement, encore et surtout, lors de ces trop rares heures d’anglais où j’en ai tant appris sur une culture dont je découvrais qu’elle était encore plus fabuleuse que je ne l’avais espéré.
Tant appris, en si peu de temps, qu’à l’heure de rejoindre les bancs de l’Université, je n’ai eu aucun problème pour suivre. J’ai juste dû réapprendre à m’ennuyer sagement pour suivre le rythme. J’ai connu des cours passionnants pendant mes années d’université. Malheureusement, ils se comptent sur les doigts d’une main et ont eu lieu pour moitié à l’ENS lorsque j’y étais auditrice libre pour préparer l’agrégation...
Pas plus que mon père je ne suis devenue normalienne à l’issu de mes (trois) années de prépa. On ne m’a jamais accusée d’être brillante. Je ne suis pas une sur-douée. J’étais seulement faite pour étudier l’anglais, dans les meilleures conditions possibles, un peu comme on peut être fait pour danser le Lac des Cygnes ou chanter La Traviata. La prépa m'a permis de le faire.
A noter : AUCUN de mes professeurs, mêmes les plus odieux (il en est), ne m’a jamais traitée comme d’autres formateurs que j’ai pu subir en dehors de l’Education Nationale ou voir dans les media...
La dette que j’ai envers mes professeurs de classes préparatoires est de celles que l’on ne peut pas rembourser : on peut juste essayer de donner à d’autres ce que l’on a reçu. J’essaie.
Agathe, Hypokhâgne et Khâgne, fin des années 80.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merc pour votre attention et votre participation.